Documenta 13, la grande parade de l'art


Créée en 1955, l'une des manifestations les plus originales de la scène contemporaine se déroule à Kassel, en Allemagne, tous les 5 ans. Treizième édition cette année.

La 13e Documenta, baptisée dOCUMENTA (13) par sa directrice artistique, Carolyn Christov-Bakargiev, se tient à Kassel, jusqu'au 16 septembre. Parallèlement, une série de colloques et d'échanges se tiendront en Égypte, à Kaboul et à Banff, au Canada.

L'art en réponse à la guerre
Documenta est «la» manifestation d'art contemporain qui a lieu tous les cinq ans dans la ville de Kassel, dans la Hesse, au cœur vert de l'Allemagne. Elle a été créée en 1955 par l'architecte et artiste Arnold Bolde pour substituer l'art aux horreurs de la guerre et du nazisme. Le sinistre camp de Breitenau est à 15 kilomètres au sud de la ville effacée à 80 % par les «bombardements tapis». Puisée dans le latin, Documenta enjoint à se prévenir de toute guerre et à documenter l'histoire par le biais de l'art. Comme elle dure cent jours, on l'appelle «le musée des 100 jours» (750.000 visiteurs à Documenta 12 en 2007). Une référence au passé napoléonien de Kassel, capitale du nouveau royaume de Westphalie dévolu à Jérôme Bonaparte après la dissolution du Saint Empire germanique, en 1806?


Joseph Beuys, figure tutélaire
«Chaque personne est un artiste», disait Joseph Beuys, pape de l'art allemand (1921-1986), pilote de la Luftwaffe abattu en Crimée, sauvé par le miel, la graisse, le feutre de nomades tatares, selon sa légende dorée (tout est à décoder dans la salle Beuys à la Neue Galerie). Impossible d'échapper à cet orateur aux joues creuses et au chapeau de dandy. Pour la Documenta 7 en 1982, le créateur du concept de «sculpture sociale» lança la plantation de 7000 chênes associés à 7000 colonnes de basalte. Ils sont là.

Cinq ans pour cogiter
Ici, il s'agit de réfléchir au monde à travers l'art: beaucoup de politique, d'écologie, de sociologie et de remue-méninges plus ou moins heureux. Aucune autre manifestation n'a pareil temps pour élaborer son programme, choisir ses équipes (250 personnes), ses artistes (193), étudier leurs projets. Ce côté universitaire donne à Kassel un charme singulier, un souffle pur hors marché. Les 2300 journalistes de cette 13e édition le savent: ce n'est pas une foire comme Art Basel. Rien n'y est à vendre. Si ce n'est son image d'artiste: Gerhard Richter, Jeff Wall, Matthew Barney, Jeff Koons, Ai Weiwei y gagnèrent leurs lauriers; ou son poids de galeriste venu en renfort pour les coûts de production; Marian Goodman, Jérôme Poggi, Chantal Crousel en pole position cette année; voire son avenir de commissaire d'expo. Compétition tacite que ce bouillon de culture et bousculade des VIP de la planète art au vernissage!

Dans le parc de Karlsaue,
l'Italien Giuseppe Penone a planté Idea di Pietra, 2003,
son arbre de bronze sur lequel est perchée une roche. 

Une forte femme à sa tête
Femme d'action en tailleur-pantalon net, bouclée d'un blond vénitien, dessins de mariée au henné sur la main droite, Carolyn Christov-Bakargiev est la directrice artistique de ce 13e grand show contemporain (budget officieux: 26,5 millions d'euros). Cette Italo-Bulgare, intello et polyglotte, a dirigé le Castello di Rivoli à Turin, la Biennale de Sydney en 2008, écrit la première somme sur l'arte povera chez Phaïdon. Dialecticienne aguerrie, elle brasse les disciplines, les théories (fines ou absconses) avec la force d'une walkyrie.

Le parc baroque, beau à tomber
Choc des contraires avec le parc de Karlsaue (125 hectares) qui s'étend devant le château baroque de l'Orangerie, avec son canal central et ses deux allées obliques (prévoir vélo à louer, chaussures, parapluie, eau et en-cas pour trois bonnes heures de visite). Créé dans un bras marécageux de la rivière dite Petite Fulda, c'est un concentré d'espèces et d'espaces. L'un des plus grands parcs dans une ville allemande.

Les artistes au vert
L'artiste de la nature Giuseppe Penone y trône, inévitablement, dès la première verdure avec son rocher suspendu en haut d'un arbre de bronze (Idea di Pietra, comme à Chaumont et l'an prochain à Versailles). Le Chinois Song Dong entasse déchets et gravats pour créer une colline et son Doing Nothing Garden, pile dans la pelouse centrale. Près du grand bassin, la Canadienne Janet Cardiff compose avec George Bures Miller une symphonie dans les arbres qui raconte les jeux, les rires, les avions, la guerre, le silence.

Silence, on danse!
Sur la Königsplatz, au Kaskade Kino, ciné d'après-guerre au velours moiré, le chorégraphe français Jérôme Bel fait danser le handicap avec Disabled Theatre et prend le contrepoint du film cruel Les Idiots de Lars von Trier. Émotion dosée, sensibilité extrême, pudeur et joie sauvage de la danse avec ses onze acteurs handicapés. Formidable!

De la gare à la Maison des huguenots
Des quais de la Hauptbanhof avec les vidéos de William Kentridge à la belle Maison des huguenots avec l'installation sonore de Tino Sehgal, de l'ex-banque cossue avec les montagnes d'Afghanistan dessinées à la craie sur ardoise par Tacita Dean aux grands magasins SinnLeffers avec la mode anticrise de Seth Price, l'art est partout.

Des valeurs sûres en bouclier
Man Ray et sa muse blonde Lee Miller, Hannah Ryggen la Suédoise et ses tapisseries contre le nazisme et Mussolini en Éthiopie, Morandi et les princesses de la Bactriane. Du beau monde au Fridericianum restauré après la guerre.

Des artistes d'avenir
Coup de cœur pour Anna Maria Maiolino, qui remplit un pavillon du parc, de la cave au grenier, de la cuisine au salon, de 2000 kg d'argile sculptée sous toutes ses formes et couleurs. Arte povera, pas mort!

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