La vidéo et le temps #2 - Douglas Gordon

L'artiste vidéaste détourne les films en ralentissant les images. Première rétrospective à Paris Douglas Gordon manipule les images, comme ses aînés les pinceaux. Souvent, il s'approprie des films cultes, d'Alfred Hitchcock ou de Martin Scorsese. Suivant les cas, il en extrait des séquences, modifie les vitesses, supprime une bande-son, organise des projections multiples sur grand écran, détournant situations et atmosphères: pour mieux en révéler la portée psychologique et déstabiliser le spectateur, dont il force l'intimité. Star de l'avant-garde britannique, Gordon fait partie de ces créateurs qui flirtent avec le septième art, comme Julian Schnabel, Matthew Barney ou Cindy Sherman. Ainsi est-il devenu, à 34 ans, l'un des chouchous de la scène internationale. Sa jeune carrière a même déjà été couronnée par les distinctions dont rêve tout artiste: Turner Prize de la Tate Gallery de Londres, Premio 2000 de la Biennale de Venise, Hugo Boss Prize du musée Guggenheim de New York. Première française: le musée d'Art moderne de la ville de Paris lui consacre une rétrospective... A découvrir ses installations sonores et ses projections vidéo, on comprend vite que cet Ecossais est un enfant de la société «post-télévisuelle». Gordon a grandi dans une famille ouvrière de Glasgow, un peu dérouté par les influences croisées d'un grand-père catholique, d'un père luthérien et d'une mère témoin de Jéhovah. Dans les années 80, en pleine ère thatchérienne, on s'ennuie ferme à Glasgow, dévastée par le chômage. Le petit écran promet l'évasion. C'est alors aussi que la vidéo et le magnétoscope font leur apparition. «Cette culture de l'arrêt sur image, de la répétition, du ralenti a influencé ma génération», commente Gordon. Ces mêmes artifices techniques permettront à l'artiste de plonger dans les méandres de la mémoire, d'explorer les tréfonds de l'être humain... Dans Confessions of a Justified Sinner, il met en scène une courte séquence de Dr Jekyll et Mr Hyde, film de Rouben Mamoulian réalisé dans les années 30. Sur deux écrans se confrontent deux visages identiques du même individu - l'un en positif, l'autre en négatif - montrant la métamorphose de l'homme en monstre. Dans 24 Hour Psycho, c'est l'assassin de Psychose qui fournit prétexte à un autre de ces décryptages. Gordon a eu l'idée de projeter au ralenti le thriller de Hitchcock. Ainsi étiré, le film dure une journée. Cette lenteur quasi hypnotique, qui peut déclencher quelques poussées d'adrénaline, offre pourtant, à qui se prend au jeu, le temps de disséquer la moindre attitude, de démonter le mécanisme de la tension, de la violence et de la terreur... Une installation inédite, intitulée Déjà vu, est dévoilée à l'occasion de la rétrospective parisienne. Gordon l'a imaginée sous la forme d'une triple projection, avec un léger décalage, de DOA. Tourné en 1950, le film de Rudolph Maté raconte l'histoire d'un homme qui, empoisonné par une substance radioactive, passe ses dernières vingt-quatre heures - le temps que la toxine mortelle fasse son effet - à décortiquer sa vie pour retrouver son assassin et mourir. En créant de tels «espaces psychologiques», Gordon prouve que l'art n'est pas tant «acte de création» que «prétexte à lier conversation». 


 

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