Carmontelle #3 : Analyse d'image & correspondances avec œuvres antérieures & contemporaines

    Louis Carmontelle, Panorama transparent d'un paysage imaginaire, 1790.

Analyse d’un transparent : Louis Carmontelle, Panorama transparent d'un paysage imaginaire, circa 1790 pierre noire, plume et encre noire, aquarelle et gouache.

  • Précisons que le spectateur ne voit jamais le support totalement déroulé, il n’en perçoit successivement que des parties.
  • Nous en considérerons pourtant la globalité pour mieux comprendre les solutions apportées par Carmontelle pour répondre à son ambitieux projet d’une synthèse espace / temps. 

On peut parler d’un montage séquentiel (succession de scènes) avant l’invention du cinéma et de la BD. Cette recherche confronte l’artiste à une série de d’enjeux contradictoires :
  • image fixe / image animée, 
  • unité / multiple, 
  • ruptures / continuités, 
  • cuts /raccords,
  • durée / instantanés, 
  • global / successif.

Iconographie 

une nature idéalisée en référence à l’Arcadie de Virgile.  à mi-chemin entre l’art classique et le pré-romantisme.

Et in Arcadia ego, Nicolas Poussin, 1638.

On retrouve l’influence de Nicolas Poussin, figure du classicisme français par excellence au XVIIème siècle. Ce dernier réalisait des maquettes qui lui servaient de modèles pour ses représentations de paysage : ainsi il pouvait organiser sa vision idéale de nature.

Dans cette « nature idéale », on retrouve également des éléments architecturaux classiques ou exotiques, comme les jardins anglo-chinois. Son expérience de paysagiste passionné par les jardins à l’anglaise s’exprime ici.
La nature représentée dans ses transparents doit être perçue comme la confrontation de deux idées phares du siècle des Lumières :
d'un côté, une campagne rustique et pastorale, influencée par l'Antiquité et appliquant les théories philosophiques des Lumières (Rousseau et l’homme à l’état sauvage)
de l'autre, une nature recomposée conçus comme une scénographie de théâtre, comportant des trompe-l'œil et des changements de décors.

La représentation de la société est quant à elle également idéalisée, 

loin des tourments suscités par les idées des lumières, c’est une certaine insouciance qui se dégage des  transparents : Ne l’oublions pas : Carmontelle est là pour divertir la bonne société et non pour l’éduquer ou confronter sa réflexion.
Lorsque l’on compare les figures de Carmontelle aux Figures de Watteau : on remarque leur raideur déjà caractéristique de ses premiers portraits. Chez Watteau, peintre rococo du début XVIIIème siècle, la courbe, la sensualité sont caractéristiques, les dessins de Carmontelle sont passés au crible du Néo-classicisme.


Embarquement pour Cythère, 1717, Watteau.

Ce thème de la vie indolente éloigne également les transparents des scènes héroïques et révolutionnaires de David, pourtant quasi-contemporaines.

Le Serment des Horaces, David, 1784.

Le travail de la couleur répond lui aussi à cet impératif d’harmonie.

2/3 de variations d’ocre (ocre vert à ocre orangé)
1/3 de bleu dégradé jusqu’au blanc
et une série de toniques rouges et de petites tâches de blanc éclatant rythment la séquence.

La composition


  • La ligne d’horizon assure la continuité de lecture du paysage. Il y a une unité de lieu (comme au théâtre)
  • Une œuvre qui défile rythmée par des lignes verticales (les arbres, l’architecture, et dans une moindre mesure les personnages) ; une alternance de tâches claires et foncées apportant de la profondeur au dessin, déjà illuminé par le retroéclairage, et une ligne serpentine jouant avec les reliefs et les zones boisées et à découvert.


Cette composition de masses découpées en plans successifs renvoie aux codes scénographiques, ce qui ne surprend guère lorsque l’on sait que Carmontelle était auteur de théâtre. La mise en scène même de l’image dans l’espace de la boîte rappelle l’univers du théâtre et le défilement des scènes, les changements de décor.  Le système de changements de décor était déjà mis au point par les grecs au Vème siècle avec J.C. : les périactes, prismes peints en trompe-l’œil rotatif.
 
Descriptif du principe des Périactes




Le mouvement

C’est une œuvre en mouvement, à ce titre elle précède les premiers pas en animation



Au  final pour un spectateur actuel, l’impression est celle d’un long travelling latéral, voire d’un plan-séquence sans ruptures entre les plans sur une société et une nature idéalisée de la fin du XVIIIème siècle .
Situé entre l’idéal nostalgique de Nicolas Poussin et le pré-romantisme (un peu plus tardif), Carmontelle plus proche du premier, aspire à un art d’équilibre, reflet d’une harmonie sociale et de celle de l’homme avec la nature, à l’évocation d’une vie tranquille où se côtoient aristocrates et paysans, palais et chaumières, antique et présent… Loin de la réalité politique de son temps.



NB
  • Ces inventions et créations artistiques originales ont été encouragées par le grand mouvement intellectuel né dans les salons du Siècle des Lumières, dont l’influence s’est largement diffusée dans toute l’Europe et même jusqu’au cœur de la jeune nation américaine. Introduit dans l’aristocratie foncière et proche de la grande bourgeoisie financière, Carmontelle côtoyait également les cercles des encyclopédistes, des physiocrates (philosophes économistes) et scientifiques. 
  • Le retour à l’antique, aux vertus romaines et grecques, la fin de l’ornement, du baroque, du rococo, de l’appogiatura (l’ornement en musique) marquent cet âge préromantique. Bref la fin d’un monde aristocratique au profit d’un nouveau monde, protestant, anglo-saxon, puritain, bourgeois, sentimental… On n'en est pas encore là avec Carmontelle

Analyse de la présentation - Narration & statut de l’artiste : œuvre d’art totale ?


La dimension narrative de l’œuvre est significative puisqu’on sait que l’auteur accompagnait le déroulement du transparent de commentaires, récits, peut-être de bruitages et de musique. Carmontelle étant homme de théâtre, on peut s’interroger sur la place de l’image par rapport au texte :

  • était-elle simple illustration d’un canevas écrit à l’avance par l’artiste, 
  • un décor de théâtre miniature pour l’acteur-narrateur Carmontelle 
  • ou peut-on la considérer comme une contribution à part entière et innovante à l’art du paysage par l’écho qu’il constitue du jardin paysager à l’anglaise et par l’introduction des notions de mouvement et de durée.

L’artiste joue sur différentes temporalités :

  • le temps dans l’œuvre, celui représenté : la suite des quatre saisons par exemple, 
  • celui suggéré par le découpage séquentiel de l’espace, 
  • et le temps de l’œuvre, celui du déroulement, de la durée du « film »


L’œuvre soulève également la question du statut de l’artiste : 

  • créateur et médiateur, 
  • opérateur de la monstration, 
  • metteur en scène, 
  • magicien, 
  • scénariste, 
  • commentateur.

Quand les découvertes et les possibilités matérielles commencent à faire bouger les images, Carmontelle, en véritable homme de théâtre, est un des premiers artistes à vouloir faire de ses créations une œuvre complète. 

Il cherche à faire évoluer ses paysages et ses personnages en temps réel dans un décor changeant au fil des situations. Certains rouleaux de transparents complets ne permettent cependant pas de connaître l’action véritable de ces pièces puisque Carmontelle n’a laissé aucun élément qui en préciserait l’intrigue.

Carmontelle réunit théâtre, musique et image animée dans une composition éphémère, nouvelle sorte de spectacle adaptable à des publics différents, transportable et maniable par une seule personne. Dans un but de contrôle de l’image, de l’action et du texte, Carmontelle a voulu créer une œuvre d’art totale.

Instagram @artsplastiques.perriand

© Le coin des arts plastiques. Design by FCD.